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A recipe for success... the Frog's favourite theoretical concepts (article in French)

Si l’on considère la traduction dans sa dimension technique, il semble qu’on puisse en soumettre la pratique au prisme de trois grandes « lignes de conduite » théoriques, l’attitude idéale se situant alors à la confluence des concepts suivants : l’intentionnalité de la théorie de la pertinence, les Scenes and frames de Fillmore et le skopos de Vermeer. À l’abord d’un nouveau texte, le bon sens suggère que le traducteur suive les étapes suivantes : premièrement, comprendre l’intentionnalité du texte-source ; rechercher ensuite pour le public-cible le meilleur rapport coût/bénéfice cognitif ; enfin, s’extraire de la fascination de la structure du texte-source, pour traduire texte-à-texte, et non plus mot-à-mot.[U1]

« Ce qui se conçoit bien s’énonce clairement, et les mots pour le dire nous viennent aisément. » Pour bien traduire, il faut avant tout comprendre. Or un texte est bien plus que la somme des mots qui le composent : Mona Baker le démontre de manière limpide par les principes de cohésion et de cohérence. Le texte se distingue d’une accumulation anarchique de mots par des effets structurels que l’on perçoit intuitivement, et qui tiennent à un tissage plus ou moins dense d’anaphores – noms propres, substantifs, pronoms, déictiques – garants de sa cohésion, et de concepts-clés dont la trame assure la cohérence du texte.

Aussi est-il essentiel, en premier lieu, d’appréhender le sens du texte, son vouloir-dire. La dynamique d’un texte, les tensions qui l’animent sont encodées dans des signes ténus, que l’on sent d’instinct, mais qu’il appartient au traducteur de percevoir et concevoir activement, à travers une première analyse structurelle du texte. L’objectif est de parvenir à identifier les indices qui jalonnent l’interprétation d’un texte : ce qu’Ernst August Gutt appelle les communicative clues, sortes de « liens hypertextes » qui contiennent en essence le propos central de l’énoncé. C’est ainsi qu’au fil d’une lecture attentive se dessine, au-delà du sens littéral du texte, son intentionnalité.

En effet, pour la traduction technique, opposée en cela à la traduction littéraire, c’est le sens du texte qui est roi. L’auteur du texte-source s’efface complètement derrière le message que véhicule son texte. La qualité de ce dernier se mesure à l’aune d’un critère unique, celui d’efficacité. Il s’agit, en peu de mots, de faire passer un message immédiatement accessible au lecteur : citons ici encore la théorie de la pertinence, et Dan Sperber, qui invoque le coût cognitif induit par le traitement mental d’un texte : ce coût, ou effort, ne doit pas excéder le bénéfice cognitif qu’il entraîne, au risque de perdre toute pertinence. Dans son essai intitulé L’Effet gourou, Sperber s’explique de la manière suivante : « Toutes choses égales par ailleurs, plus est grand l’effort pour traiter un énoncé, moins est grande sa pertinence. Il est plus pertinent d’entendre, à propos du départ du prochain train pour Manchester : « Il partira à 17h16 », que : « Il partira 22 minutes après 16h54 » (à moins, bien sûr, que l’écart entre 16h54 et le départ du train soit particulièrement pertinent), en dépit du fait que les deux propositions sont synonymes et entraînent exactement les mêmes conséquences. Le second énoncé, plus compliqué, réclame un plus grand effort de traitement : plus d’effort, moins de pertinence. »

Mais si la pertinence d’un énoncé est fonction de l’effort que devra produire son destinataire pour le traiter, alors il apparaît clairement qu’elle doit être toujours relative à l’environnement cognitif de ce destinataire. Aussi est-il absolument essentiel d’attacher à la question de la pertinence un autre paramètre crucial : le skopos, au sens où l’entend Hans Vermeer. Le texte, en tant qu’acte de communication, s’adresse à un public dont l’environnement cognitif est déterminé par un contexte culturel, social, temporel particulier. L’objectif du texte, surtout technique, est de produire sur ce public un effet précis : achetez cette marque de café, débranchez correctement cette machine à scier, autant d’actions qui, si elles semblent identiques d’une culture à l’autre, ne seront en fait au mieux qu’équivalentes. Les prises murales anglaises sont munies d’interrupteurs : comment éteint-on une prise française ? Le café évoque, pour des Britanniques, un univers complètement différent de celui auquel les Français l’associent. Pour que le texte-cible fasse sens et suscite de la part du public-cible la réaction adéquate – en d’autres termes, pour qu’il soit pertinent, il est essentiel que le traducteur soit conscient de ces différences culturelles, et adapte son texte en fonction d’elles.

Cela établi, vient le temps de se préoccuper du mot. Entre les mots du texte-source s’établissent des connivences, des réseaux susceptibles de faire naître à l’esprit du public-source des images pertinentes. L’un des concepts les plus éclairants, les plus indispensables de la traductologie, proposé par Fillmore, est celui des Scenes and frames. Fillmore analyse le rapport du texte à son récepteur comme fonctionnant à partir d’un ensemble de stimuli qui réactivent chez le lecteur des images liées à son vécu, ou cognitive scenes. Il se fonde sur la puissance évocatrice des mots, qui suscitent chez leur récepteur des associations d’idées nées moins de son expérience individuelle que d’une expérience collective, propre à une culture donnée. C’est ainsi qu’un énoncé pertinent déclenchera chez divers récepteurs d’un même skopos des scènes cognitives sensiblement similaires.

Pour le public du texte-cible, en revanche, ces cadres linguistiques n’éveilleront pas nécessairement les mêmes scènes cognitives. Si le traducteur choisissait de se livrer à une traduction mot à mot, il courrait le risque de perdre complètement l’intentionnalité du texte-source dans le transfert. Or on l’aura compris, c’est précisément cela, cette intentionnalité du texte, qui représente l’enjeu crucial de la traduction technique. Et c’est au traducteur qu’il revient de percevoir ces scènes que le texte cherche à activer dans l’esprit du public-source, pour en recréer ensuite d’équivalents, par des moyens linguistique forcément différents, dans sa traduction : porter toute son attention au mot, aux associations de mots (les collocations de Mona Baker, précieuses alliées de la puissance évocative du texte), pour mieux s’en détacher – la méthode revient, métaphoriquement, à consulter Google Images plutôt qu’une encyclopédie.

La rencontre de ces trois démarches – analyse de l’intentionnalité et choix d’un message pertinent en fonction du sens évocatif du texte – place le traducteur au cœur d’une activité cruciale, et dont il est seul maître à bord. À l’inverse de la traduction littéraire, pour laquelle le traducteur se fait l’ombre discrète de l’auteur, en traduction technique les rôles s’inversent, le traducteur ne se substitue pas seulement à l’auteur, il le dépasse, se fait herméneute du texte-source, sociolinguiste du public-cible, pour rédiger, dans la langue-cible, un nouveau texte original dont la ressemblance au texte-source intervient à l’échelle du texte, et non plus à l’échelle du mot.

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